Seul au combat, Les BB – Aimer l’univers et le détruire

Cette semaine, Littéraire Déchu s’attaque à un monstre sacré de la chanson Québécoise avec le groupe « Les BB » et leur succès, « Seul au combat », dont voici l’analyse littéraire. On s’excuse aux fans de Patrick Bourgeois. 

SEUL AU COMBAT, LES BB, L’ANALYSE RÉSUMÉE EN UNE PHRASE
« Un géant destructeur de monde cherche à mettre fin à sa propre vie en détruisant l’univers. »

Dans le brouillard bleu

Le soleil est disparu

La terre est froide et vaincue

La terre a les bleus

La première partie du poème est séparée en deux quatrains et un tercet (si certains théoriciens de la poésie vous diront qu’à cause de son manque d’autonomie quant à la rime, le tercet n’est pas vraiment un vers, nous vous inviterons à leur dire de manger un char de marde, eux et leurs idées élitistes) dont les structures ABBA, AAA et AABB dénotent une certaine excentricité de la part du poète qui se joue des mots et des règles comme un enfant à la cours d’école, jouant à la marelle dans l’insouciance du début de l’opération « Tempête du désert », le 17 janvier 1991 (Seul au Combat est lancé en 1991) qui mena à la neutralisation de l’armée Irakienne et à la fin de la guerre du Golfe. Le poète prend alors une position de troubadour dont l’art est de distraire, de faire oublier les pensées sombres qui habitent son public et de lui faire rêver, l’espace d’un instant, à un monde meilleur, tout en glissant de très subtils messages dans leurs chansons, facilement identifiables par les âmes pures et autres fins intellects de leur époque. Les BB prennent donc, et continueront à prendre, pendant toute leur carrière, ce rôle important dans toute société moderne, rivalisant ainsi avec les Astorg VII d’Aurillac (13e siècle) et autres Jaufré Rudel, troubadour aquitain de Langue d’Oc (12e siècle).

Bref.

La première strophe s’ouvre sur une vision apocalyptique de la planète terre, un champ lexical d’inquiétude et de ruine (brouillard, soleil disparu, terre froide et vaincue) qui n’est pas non plus sans rappeler le froid des longs mois d’hiver, ou encore même l’ère de glace ayant succédée au règne des dinosaures. Le dernier vers de la strophe « La terre a les bleus », peut évidemment faire penser à l’expression anglaise « Having the blues », comme dans la populaire chanson grivoise « Câline de blues », mais le mot « bleu », en plus d’être la couleur du froid, de la distance (le ciel bleu étant loin), réfère également à l’ecchymose. La terre a, littéralement, des bleus, puisqu’elle a été battue et que le sang s’est échappé des vaisseaux sanguins et a créé le « bleu ». La première strophe illustre donc cette terre où il serait censé de dire, debout sur son balcon en se grattant le ventre: « Ouain ben, ça va mal. »

Sur mon grand cheval gris

Je cours sous la pluie

Prince d’amour je survis

La strophe suivante nous donne un aperçu de ce narrateur qui décrit cette planète où tout semble être perdu. Amateur d’équitation, il partage avec Roch Voisine  et Mario Pelchat et nombre d’auteurs de poésie moderne cette vilaine habitude d’aller se crisser sous la pluie quand ça va mal. En plus de causer la grippe ou le rhume (médicalement débattable, mais ma mère demeure intraitable), cela ne change souvent rien à la situation. Nous pouvons également apprendre que le narrateur fait partie de la famille royale, la lignée demeure cependant inconnue.

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Le narrateur pourrait, par exemple, faire partie de la lignée des D’Amour, dont le représentant le plus connu est Normand, Baron, propriétaire de plusieurs terres et seigneur d’une poignée de serfs dans le nord du Québec.

Pour te retrouver 

Perdu dans la foret désenchantée

Sans trace de toi

Seul au combat

Après avoir établi la Situation initiale, le poète nous donne un indice de l’élément déclencheur ayant pu mener à la péripétie que nous vivons actuellement (cheval, pluie, Normand D’Amour), celui-ci pourrait être, en effet, la disparition de ce « Toi » qui est recherché dans la forêt désenchantée. C’est par cette subtile personnification que le narrateur nous évoque, nous pousse à croire que ce n’est pas seulement la forêt qui est désenchantée (comment pourrait-elle l’être, les arbres n’ont pas d’émotion, malgré toutes les protestations de Greenpeace), mais bien lui, le chevalier-narrateur-prince-D’Amour-qui se trouve à ne plus ressentir l’enchantement – peut-être parce que sa douce est disparue, peut-être parce qu’il ne ressent plus rien pour sa douce, qu’il doit tout de même trouver, malgré son manque d’amour (pas Normand), puisque c’est un chevalier et qu’il connaît l’honneur.

Une autre hypothèse: la forêt a déjà été enchantée, mais là, elle ne l’est plus. On sait ben pas pourquoi.

Le dernier vers de la strophe, qui donne son titre au poème, révèle toute l’impuissance du narrateur devant le drame qui l’habite: d’un côté, la nécessité de retrouver une femme qui attend sa rescousse, de l’autre, l’absurdité de retrouver une princesse pour qui il ne ressent plus rien. La narrateur est donc face à un dilemme de type cornélien, puisqu’il doit choisir entre son honneur (sauver une femme qu’il n’aime plus) et sa liberté (courtiser des courtisanes qui font court-circuiter son coeur).

Moi qui suis l’amant de l’univers

Ton chevalier imaginaire

Je volerais de l’air pour toi

Dans mon âme millénaire

Y’a un comme effet de serre

Moi, le chevalier solitaire

Je garde ma passion pour toi

Le premier vers pose la question inévitable de la taille du narrateur, puisque celui-ci se qualifie d’amant de l’univers. L’amant étant, nous le savons, celui qui aime un partenaire charnellement, le lui déclare et est aimé de ce dernier en retour. Ceci pose l’épineuse question de la sexualité, nécessaire à la notion d’amant, sauf dans l’amour courtois. Le narrateur-prince-d’amour-chevalier serait-il alors également un Géant dévoreur des mondes, similaire au Galactus, personnage tragique de l’univers des super-héros, qui doit dévorer les mondes et leurs millions d’habitants pour survivre? Nous pourrions le croire, puisque le vers « Dans mon âme millénaire » vient renforcer cette idée. Amant de l’Univers, c’est à dire celui qui aime l’Univers, mais à la fois celui qui le détruit, puisqu’il lui vole également son air, son oxygène, le suffoquant ainsi. L’effet de serre mentionné, dans l’âme du narrateur, est-il une référence au dilemme mentionné plus haut? Le narrateur étant désenchanté puisqu’il doit tuer celle qu’il aime ou survivre, mais survivre en tuant celle qu’il aime veut également dire détruire toute forme de vie autour de lui, devenant celui qui est, effectivement… seul au combat! 

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Le narrateur, figure tragique du Géant mangeur de mondes, se tenant au milieu d’un monde dévasté?

Mes cheveux touchent au ciel

Les arbres sont fanés

Les châteaux éteignent leurs tourelles

Et s’en vont en fumée

Retour, dans cette strophe/couplet, au présent narratif ou le narrateur, que nous savons maintenant  géant mangeur de monde, regarde la désolation du spectacle de destruction qu’il amène avec lui, partout où il va. Ses cheveux touchant au ciel puisqu’il est grand comme la tragédie qu’il porte en son coeur, le décor sur lequel il pose ses yeux n’est qu’une réflexion de son état d’âme, et les tourelles éteintes, partant en fumée, représente la capitulation de ce peuple de valeureux combattants qui a tenté de l’arrêter, mais qui, dans l’attente d’une mort imminente, préfère aller passer ses derniers moments de vie avec femme et enfants. Mention spécial au mot tourelle, qui est franchement pas assez utilisé en poésie moderne. Props, les BB.

Sur mon cœur, j’ai écrit

L’histoire de ta vie

Les mains jointes à la boue

Je prie pour te retrouver

Perdu dans la foret désenchantée

Sans trace de toi

Seul au combat

Retour à ce « tu » qui hante le poème du début à la fin, le lecteur est laissé à ses doutes pour tenter de résoudre le mystère de cette deuxième personne du singulier. Qui est donc cette mystérieuse personne que le narrateur cherche tant à retrouver? Est-ce l’Univers elle-même, qu’il désire tuer pour enfin en finir avec sa propre existence absurde? Ce serait-là un aveu clair de la position du narrateur quant à la question qui a déchiré Sartre et Camus, soit la question de l’existence: non content de ni s’engager (Sartre), ni se révolter (Camus), le narrateur choisit plutôt la voie de la violence, suffoquant cet univers qui le fait souffrir, en finissant avec la vie de toute chose pour en finir avec la sienne, millénaire, éternelle, absurde. Le narrateur serait donc un nihiliste, un anti-théiste dont la position de Dieu destructeur le fait se questionner sur les raisons de l’univers-amante qu’il tente de détruire.

Et si ce « tu » que ce Galactus destructeur des mondes recherche tant était plutôt celle qui pourrait l’arrêter, cette femme qui pourrait lui arracher le coeur et finalement mettre un stop à sa folie meurtrière? Nos questions demeurent sans réponses, et derrière leurs chevelure luxuriante, les BB nous posent la question de l’existence et du sens de la vie. 

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