Pour sa prochaine analyse, Littéraire Déchu se penche sur le hit mondial « Hélène », de Roch Voisine. On s’excuse à l’avance aux fans de Dany Ross.
Seul sur le sable les yeux dans l’eau
Mon rêve était trop beau
L’été qui s’achève tu partiras
A cent mille lieux de moi
Comment oublier ton sourire
Et tellement de souvenirs
Côté forme, nous avons affaire à un classique dans le milieu de la chanson, AA-BB-CC au niveau de la rime. Le poème s’ouvre toutefois sur une note particulière au niveau de la thématique, puisque nous nous demandons ce que fais le narrateur couché, seul sur la plage avec la face dans l’eau. On pourrait croire qu’il vit un moment d’émotion: l’eau et les yeux renvoient aux larmes, et l’emploi de l’imparfait pour qualifier le rêve du vers suivant laisse entendre que celui-ci n’est plus – le narrateur pleure et, honteux de pleurer comme devrait l’être tout homme qui mange de la viande rouge, il se cache en se mettant la face dans l’eau (Qui est une figure récurrente du courant de la « Chanson d’amour Québécoise », voir Mario Pelchat et Les pleurs dans la pluie, l’homme a tendance à cacher ses larmes dans l’eau qui coule, que ce soit pluie, lac, ou douche.)
Bref.
Les prochains vers expliquent la cause de cette peine soudaine qui assaille le narrateur, puisqu’un « tu » mystérieux semble être destiné à s’éloigner une fois venu la fin de l’été. Une recherche thématique jumelée à un champ lexical relié à la nature (Sable, eau, été, lieux) nous permet d’affirmer que la cause de cette tristesse serait le départ des outardes à l’automne. Le narrateur est donc probablement un amoureux des animaux, de la nature, ornithologue ou naturaliste (NDLR: à ne pas confondre avec naturiste). Le vers suivant, qui mentionne les sourires qui ravivent des souvenirs douloureux, laissent croire que le narrateur a découvert une sorte d’oiseau capable de sourire, une super outarde aux capacités humaines dont le départ vers le « pays loin là-bas », les États-Unis d’Amérique, l’attriste. Nous avons là la fameuse Hélène qui donne son titre au poème.
Hélène
Nos jeux dans les vagues près du quai
Je n’ai vu le temps passer
L’amour sur la plage désertée
Nos corps brûlés enlacés
Comment t’aimer si tu t’en vas
Dans ton pays loin là-bas
La prochaine strophe sert de pont entre l’introduction où le sentiment de tristesse est rapporté et le refrain où toute la tragédie du poème « Hélène » est exprimée, mais ne nous devançons pas. Le vers « Nos jeux dans les vagues près du quai » n’est pas sans rappeler le concept d’inquiétante étrangeté Freudienne, puisque le narrateur s’amuse dans un lac avec une outarde mutante qui sourit. Nous pourrions croire à la folie, puisque le temps, seule constance de la vie humaine, se dissipe lors de ces jeux dans les vagues. Même si le prochain vers parle d’amour, cet amour est tout de suite accompagné de cette inquiétante « plage désertée » – désertée de toutes les autres Bernaches du Canada qui sont parties? Désertée de vie humaine? Pourquoi l’amour a-t-il besoin de ce décor glauque, des vagues près du quai qui laissent présager la tempête? Rappelons-nous la première strophe et les larmes cachées par la face dans l’eau du narrateur. Il est raisonnable de croire que cette première strophe était le flashforward d’une scène qui se déroule lors de la deuxième strophe.
C’est la deuxième partie de cette strophe qui vient certifier le doute: « Nos corps BRÛLÉS enlacés » révèle toute l’horreur de la chanson, révèle toute l’horreur de la chanson, puisque le narrateur ornithologue procède à une immolation de sa personne ainsi que l’oiseau qui l’accompagne – peut-être l’a-t-il fait avec un chalumeau, peut-être l’a-t-il fait avec un four à 450 degrés, nul ne le saura jamais, mais sa motivation se révèle être celle du début. « Comment t’aimer si tu t’en vas dans ton pays loin là-bas » prend la forme d’un douloureux aveu du criminel pyromane dansant dans l’eau avec le corps calciné de l’outarde qu’il aurait voulu apprivoiser mais qui s’apprêtait à le quitter parce que la migration.
Hélène things you do make me crazy bout you
Pourquoi tu pars reste ici j’ai tant besoin d’une amie
Le premier vers, que l’on pourrait librement traduire par: « Hélène, les choses que tu fais me rendent fou. » Pourquoi l’utilisation de l’anglais, d’ailleurs? Mais qui donc utilise aussi l’anglais pour parler d’émotions que vivent le narrateur, comme la rage, la folie, la violence et le meurtre? Je vous le donne, dans le mille… SHAKESPEARE! Oui, le célèbre dramaturge n’utilise-t-il pas la langue anglaise pour faire vivre l’un de ses personnages les plus tragiques, j’ai nommé Hamlet! Et c’est là le génie du poète: quatre siècles d’histoire, de dramaturgie, de littérature et de rêves tiennent en l’espace d’un seul vers.
Le deuxième vers n’a pas de sens puisque les Outardes font de très mauvaises amies, comme le dit si bien le proverbe.*
Shakespeare, inspiration principale de Roch Voisine?
Hélène things you do make me crazy bout you
Pourquoi tu pars si loin de moi
Là où le vent te porte loin de mon coeur qui bat
La répétition ici vient en quelque sorte humaniser le narrateur ornithologue meurtrier qui, en répétant ce vers encore une fois, tente de rationaliser l’acte d’horreur qu’il vient de commettre: c’est en répétant un mensonge que l’on peut commencer à y croire. L’emploi du véhicule « vent » pour transporter l’outarde Hélène pourrait être interprété comme un signe d’espoir puisque les oiseaux comme Hélène sont portés par le vent, mais non, le vent ne peut transporter une outarde morte, c’est plutôt l’âme d’Hélène qui est emportée par le souffle de Poséidon, loin du coeur qui bat du narrateur: mais pourquoi l’oxymore « Coeur qui bat », tous les coeurs battent. Tous? Non. Pas les coeurs de gens morts. Et si le coeur du narrateur bat, celui d’Hélène l’oiseau au si beau sourire, lui, ne bat plus.
Hélène things you do make me crazy bout you
Pourquoi tu pars reste ici reste encore juste une nuit
Elle part parce qu’elle est morte et que le courant l’emporte au loin.
Seul sur le sable les yeux dans l’eau
Mon rêve était trop beau
L’été qui s’achève tu partiras
A cent mille lieux de moi
Comment t’aimer si tu t’en vas
Dans ton pays loin là-bas
Dans ton pays loin là-bas
Dans ton pays loin de moi
Retour au flashforward du début, qui est maintenant devenu un présent trop fatal pour être soutenu. Seul sur le sable, les yeux dans l’eau, le lecteur peut s’imaginer pourquoi celui qui a tué l’outarde qu’il aimait veut s’enlever le don de vue, tout en comprenant que ce « pays à cent mille lieux de moi n’est pas les États-Unis d’Amérique comme la logique du texte le laissait présager au début, mais bien la mort. Le lecteur demeure cependant avec une question: la face dans l’eau, ça respire mal, qu’adviendra-t-il du narrateur? Libre à celui qui achève le poème de répondre à la question…
*Les outardes sont de mauvaises amies