Les plus futés parmi nos lecteurs auront probablement réalisé qu’il existe une multitude de façons de s’exprimer en utilisant la même langue, et je ne parle pas ici de la langue qui vous sert à vous humilier quand celle-ci n’arrive pas à trouver le mythique clitori pendant que votre date du moment se demande si son ex fait encore des appels de service à deux heures du matin, messieurs. Je parle bien sûr de la langue que nous utilisons pour exprimer nos pensées, c’est-à-dire la langue française.
Il va sans dire qu’entre le monsieur qui dit J’ai l’doua et Céline Galipeau, il y a un monde.
Et ce monde, c’est celui des registres de langue.
C koi ton bail le littéraire déchu hahah c’est pas legit les registres de langage lol xD
Au contraire, grâce à cette subtile brisure de ton, nous venons tout juste d’illustrer l’existence des registres de langue, l’exemple ci-dessus provenant de ce qu’on appelle la langue populaire. Anglicismes, grammaire approximative, syntaxe désordonnée, ce registre accepte n’importe quoi, et aucune barre n’est trop basse – un peu comme pour se lancer en politique, tant que le locuteur est capable d’aligner deux mots, c’est bon.
Les autres registres sont appelés:
Registre familier: Langue orale, souvent utilisée avec ses proches. On la reconnaît parce qu’elle est relaxe, sans être ordurière, comme une soirée passée à fumer des joints, mais en discutant d’actualités locales, nationales et internationales.
«As-tu vu ce qui se passe dans le monde?
– Ouain, genre l’effondrement de la civilisation moderne?
– Euh, non, t’es pas mal déprimant, pis en plus tu monopolises le joint.
– S’cuse moi, c’est parce que toute est déprimant que je monopolise le joint.
– C’est pas super familier de dire monopoliser le joint.
– Qui parle?»
Registre standard: C’est le registre employé par les journalistes, par les enseignants, par les professionnels. Une langue claire, efficace, précise, sans être trop difficile à comprendre.
Registre soutenu: Ce dernier registre est également appelé le registre de la langue littéraire. C’est la langue des romans, une langue sophistiquée, plus complexe, où il est parfois possible de déceler des indices subtils nous faisant réaliser que l’auteur écrivant la phrase «L’effervescence intellectuelle de cet instant transcende toute expression commune.» avait peut-être la main dans les culottes se faisant.
Pour vous aider à mieux comprendre cette idée, chers lecteurs, nous avons décidé de vous faire la transposition d’une chanson appréciée de la culture québécoise, La Rue Principale, des Colocs, vers de styles populaires et soutenus.
Texte Original | Version modifiée (Registre soutenu) |
Dans ma petite ville on était juste 4000 | À l’intérieur de ma cité se côtoyait plus d’un millier de compères |
Pis la rue principale a s’appelait St-Cyrille | Tous les citoyens convergeaient vers l’allée St-Cyrille qui était ma foi fort occupée |
La Coop, le gaz bar, la caisse pop, le croque-mort | Puisque cet endroit, tel un El Dorado de la consommation capitaliste, réunissait en son sein des commerces offrant une variété de produits, ainsi que des services financiers et funéraires |
Et le magasin général | Et un magasin qui n’était pas sans rappeler Au bonheur des dames, le grand magasin de prêt-à-porter féminin que l’on prend plaisir à découvrir dans l’œuvre d’Émile Zola |
Quand j’y retourne, ça m’fait assez mal | Lorsque le destin me ramène au lieu de mes origines, je souffre |
Y est tombé une bombe su’a rue principale | Puisqu’un obus a décimé cette artère commerciale jadis si occupée |
Depuis qu’y ont construit le centre d’achat, ouais | Et cet obus porte le nom maudit de Centre commercial, rien à voir avec Au bonheur des dames |
L’autre jour j’ai amené ma bien-aimée | Jadis, naguère, je donnai rendez-vous à ma dulcinée |
Pour y montrer où c’est que j’étais né | En ce lieu sacré de ma mythologie d’enfance |
Aussitôt arrivé me voilà en beau joualvert | Pardieu, que dis-je, diantre, mon bouleversement n’eut d’égal que ma surprise une fois sur les lieux |
Ça avait l’air de Val Jalbert | Cet endroit que j’avais à l’époque tant chéri ressemblait maintenant à Oppède-le-Vieux |
Ah quand j’y retourne, ça m’fait assez mal | Lorsque le destin me ramène au lieu de mes origines, je souffre |
Y est tombé une bombe su’a rue principale | Puisqu’un obus a décimé cette artère commerciale jadis si occupée |
Depuis qu’y ont construit le centre d’achat | Et cet obus porte le nom maudit de Centre commercial, rien à voir avec Au bonheur des dames |
Une bonne journée j’vas y retourner avec mon bulldozer | Il m’arrive parfois de rêver à ce jour divin où je me présenterai aux portes de la cité aux commandes d’un appareil de machinerie lourde |
Pis l’centre d’achat y va passer un mauvais quart d’heure, ah ah ah ah | Pour administrer une furie réparatrice, juste, mais sans pitié à ce Centre Commercial, hu hu hu |
Avant la venue du centre d’achat | Puisqu’avant la venue de ce dernier |
Sur la grand’rue c’était plus vivant qu’ça | Mon artère chérie était bondée du matin au soir |
Des ti-culs en bécique, des cousines en visiste | Des chérubins sur leurs bolides enfantins, des cousines de passage |
C’était noir de monde comme en Afrique | C’était noir de monde comme à beaucoup d’endroits puisque la surpopulation est un phénomène global |
Quand j’y retourne c’est pathétique | À mes passages subséquents, mon bouleversement n’a d’égal que mon mépris et ma consternation devant la situation dont mes yeux sont témoins |
Ça va donc ben mal su’a rue principale | La situation est catastrophique sur cette artère commerciale majeure |
Depuis qu’y ont construit le Mc Donald | Depuis l’érection d’un établissement de restauration rapide d’envergure internationale |
Voici Patrick Esposito di Napoli | Voici Palamèdes de Guermantès |
Dans ma petite ville y sont pu rien que 3000 | Dans ma cité en situation de déclin démographique, nous ne sommes plus autant qu’auparavant |
Pis la rue principale est devenue ben tranquille | Et la rumeur constante de notre artère commerciale s’est tue |
L’épicerie est partie le cinéma aussi | Le comptoir alimentaire a été délocalisé, la salle de projection également |
Et le motel est démoli | Notre complexe hôtelier anéanti |
(Refrain + Répétition du premier couplet) | (Refrain + Répétition du premier couplet) |
Nous espérons que cet exercice vous aura plu. Dans un prochain essai, nous aborderons l’épineuse question du bon registre à choisir pour dire à quelqu’un d’arrêter de parler, en facetime sans écouteurs dans un métro bondé, à un interlocuteur dont la connexion internet date de 1998 et dont le discours est tellement enneigé qu’on se croirait à un party d’artistes du Cirque du Soleil.