Cette semaine, Littéraire Déchu analyse une classique de la poésie de rue québécoise: le succès « Ayoye » , par le collectif « Offenbach », est une de oeuvres favorites de l’auteur puisqu’elle le ramène à son enfance pleine de manteaux en jeans, de pantalons troués et de cocaïne. Nous nous excusons aux gens de Sorel.
Ayoye tu m’fais mal
À mon cœur d’animal
L’immigré de l’intérieur
Tu m’provoques des douleurs
Tu m’fais mal au cœur
Le poème aujourd’hui analysé commence avec un quintil, qui n’est pas sans rappeler les ballades moyennes âgeuses ou encore leur retour en force dans la poésie d’Apollinaire ou de Victor Hugo à leurs époque respectives. Une structure de rime échafaudée sur un audacieux AABBB où l’asymétrie est appuyée par un déséquilibre des forces rimées en présence, doublé d’une rime B en plein milieu du deuxième vers (coeur vs intérieur, douleurs, coeur) nous pousse à croire que le poète, lors de l’écriture de la chanson, était moins coké que ce que l’on pourrait croire.
Ayoye, à ne pas confondre avec la série télévisée jeunesse du même nom, diffusée entre 2001 et 2003 sur les ondes de Radio-Canada, est un néologisme québécois qui renvoie à la douleur. On le retrouve également orthographié « Adjoye » dans certaines régions plus pauvres du Québec. La poème, s’ouvrant sur ce mot, nous exprime donc dès le premier moment de lecture un sentiment de malaise, de douleur, même, et un champ lexical médical (mal, intérieur, provoque, douleur, coeur) nous pousse à croire que le narrateur est peut-être pris d’une crise cardiaque, ce qui justifierait l’emploi du mot « Ayoye » puisque les crises cardiaques font mal. (Bertrand, Simoneau et all, 2001)
Pourtant, une lecture plus fine du texte nous permet de remarquer que le coeur n’en est pas un humain, mais bien animal. Nous avons à faire à un animal, bipède ou quadrupède, probablement, doté d’une conscience et du don de parole. Voyons voir si le reste du poème nous donne plus d’informations sur ce que nous présumons être une Fable de La Fontaine moderne.
Nous ne sommes pas pareils
Et pis pourtant on s’émerveille
Au même printemps
À la même lune
Aux mêmes coutumes
Nous retournerons ensembles
Comme cendres
Au même soleil
Le « Nous » évoqué dans le premier vers vient confirmer nos soupçons, le narrateur de la présente fable, dans une adresse au lecteur qui est humain, se distingue de celui-ci, il ne lui est pas pareil puisqu’il est animal. Et dans un habile tour de main, celui-ci lui fait pourtant réaliser que malgré leurs différences, ils partagent la même planète et le même environnement. Installation d’une dichotomie civilisation/nature tout au long de la strophe grâce à deux champs lexicaux (printemps, lune, soleil) vs (coutumes, cendres) – le narrateur, que nous imaginons sous les traits d’un animal sage comme un vieux loup gris ou encore un hibou, réaffirme un message depuis longtemps porté par des philosophes comme Rousseau – l’homme, au naturel, est bon, mais alors que le hibou demeure bon, sage, naturel, l’homme se corrompt à cause de la société. Toute la technologie de l’homme, tous ses rites funéraires, toute sa civilisation ne le sauvera pas devant l’éternel: il naît des cendres et redeviendra cendres.
Nous présumons que ces réflexions sont causées par la crise de coeur imminente du hibou, comme suggéré par le « Ayoye » initial. À moins que ce « Ayoye » soit poussé par l’animal en question qui voit à quel point l’être humain saccage la terre. Dans un cas comme dans l’autre, le « Ayoye » est un « Ayoye » passif, mais demeure un « Ayoye » de douleur.
Si le vent frappe à ma porte
Pour m’annoncer le réveillon
Je partirai comme marmotte
Au soleil à ses premiers rayons
Pourquoi quelqu’un prendrait-il la peine de se rendre jusqu’au terrier d’une marmotte la veille de Noël pour lui dire: « Yo, c’est le réveillon. Party! » Nous croyons que le vent est une représentation des troubles d’alcoolisme du poète Gerry Boulet lors des grandes années du collectif Offenbach, plus particulièrement une référence à la fois où il est allé se mettre la face dans un trou derrière chez lui à Longueuil en criant: « ESTIE LES MARMOTTES, RÉVEILLEZ-VOUS, C’EST NOËL! » Cette strophe en est le flashback.
La performance de Mario St-Amand lors de cette scène est particulièrement troublante à voir.
Parmi les roseaux
Cueillir l’oiseau du paradis
À coup de grelots
À son de whisky
Chanter la toune
Comme papillon qui tourne
Retour au temps de narration présent ainsi qu’à l’unité d’action évoquée par la première strophe durant laquelle le narrateur hibou-vieux-loup-pris du coeur s’agenouille parmi les roseaux pour recueillir ce qui est la cause de sa crise cardiaque, et celle-ci devient métaphorique lorsque le lecteur s’aperçoit que ce vieux sage de hibou, tel un personnage berné dans une fable pour enfant, ramasse « l’oiseau du paradis », c’est à dire l’oiseau qui va vers la paradis, et nous savons que ce qui va vers la paradis doit être mort, puisque personne sauf Raël ne va au paradis vivant – le narrateur hibou est donc également père de famille, recueillant son petit hibou, probablement tué par les humains et leur civilisation de marde. Le narrateur, sombrant dans l’enfer de l’alcool et des grelots (?), se promène alors d’arbre en arbre, chantant à jamais sa chanson: « Ayoye, tu m’fais mal. », à qui veut bien l’entendre, tel un poète déchu, un messager blasé, un hermès au coeur brisé, espérant un jour ramener les humains vers la nature et hors de leur civilisation destructrice.